Exposition Dalí/Béjart : danser Gala.(11-20 août 2007)

Commissaires d'exposition : Frédérique Joseph-Lowery et Isabelle Roussel-Gillet.

 

Présentation.

 

Il faudrait que le philosophe ne se contente plus d'observer l'artiste depuis son retrait, sa hauteur. Qu'il ne se satisfasse plus de relever sur son calepin les éléments "sensibles" capables d'illustrer son propre monde "intelligible" déjà construit. Il faudrait que la pensée du philosophe sache répondre aux œuvres de l'art , comme un geste répond à l'autre, et par cette réponse se modifie, se déconstruit, s'ouvre tout à coup: s'élève avec la pensée pied du danseur, s'involue avec la pensée-main du dessinateur - pensée qui, bien sûr, ne s'arrêtent jamais à un seul organe puisqu'elles s'incarnent et se formulent esthésiquement à travers le rythme de notre chair entière, vivante et pensante.

Georges Didi-Huberman .

 

En 1961, Salvador Dalí et Maurice Béjart travaillèrent ensemble à un spectacle composé d'un opéra La Dame Espagnole et le cavalier romain , suivi d'un ballet intitulé Gala . Ce spectacle représenté successivement dans trois grandes capitales artistiques, à Venise (théâtre de La Fenice), Bruxelles (théâtre de la Monnaie) et Paris (théâtre des Champs-Elysées) fut introduit en Italie d'un happening qui rend compte d'une nouvelle orientation dans la carrière du peintre Dalí  dans les années soixante: l'art informel. Quant à Béjart, l'importance de ce ballet tient au fait que ce fut la seconde œuvre qu'il fit danser au corps de ballet qu'il venait de fonder à Bruxelles : le Ballet du XX e siècle .

Suivant une voie artistique ouverte par Diaghilev, quelques cinquante ans après le Sacre du Printemps dont le primitivisme chorégraphique était emprunté au peintre Gauguin, cinquante ans après la célèbre représentation de Parade qui unissait les ballets Russes aux peintres et écrivains du mouvement cubiste français (Picasso, Cocteau, Satie et Apollinaire) - à l'occasion de laquelle Apollinaire forgea le mot de surréalisme - Salvador Dalí et Maurice Béjart créèrent un spectacle total où ils poursuivaient à leur manière le chemin de révolution creusé par le Ballet Russe, avec cette différence qu'ils prirent en compte des éléments contemporains nouveaux : la peinture gestuelle et le tumulte social de l'époque dont Maurice Béjart anticipe l'importance lorsqu'à Bruxelles, dans un tableau vivant, il transforme sa troupe en une bande de manifestants annonçant les familières images de mai 1968.

C'est dire que l'importance historique de ce ballet ne fait pas de doute. Il n'en demeure pas moins que cette œuvre a été écartée des catalogues d'art, que ceux-ci se réfèrent à l'artiste Dalí ou au chorégraphe Béjart. Si la critique a salué la performance de la danseuse étoile de l'époque, Ludmilla Tchérina, le travail artistique de Dalí (cinq panneaux de scène) a été traité avec mépris et personne n'a compris la parenté esthétique qui lia les deux créateurs. C'est tout juste aussi si l'on signala la part créative d'un autre partenaire du projet : la Maison Guerlain , qui créa en guise de décor et « effet scénique d'irréel » une solution parfumée jamais commercialisée et conçue aux seules fins artistiques.

L'ignorance de cette œuvre est telle que de nombreuses archives, photographiques par exemple, ne virent jamais le jour, au sens propre : avant notre intervention de chercheuses, elles dormaient, recluses, dans leur ombre de négatifs. L'exposition que nous avons présentons rassemble divers documents de medium variés (photographies de représentation et de répétition, en noir et blanc, ou en couleur, entretien télévisuels, enregistrement sonore, articles de presse) qui permettront au visiteur de se faire une idée de la nouveauté de ce spectacle et de son dynamisme. C'est pourquoi, loin de faire de ce spectacle un objet du passé ancien que nous nous serions mises à dépoussiérer, il nous a tenu à cœur de présenter à notre tour ce spectacle de manière vivante et non purement académique.

A cette fin, nous mêlèrons aux traces du passé le témoignage du premier danseur qui se souvint avec nous, aujourd'hui, du ballet auquel il participa il y a presque cinquante ans : Germinal Casado. Comme il nous tient aussi à cœur que la création contemporaine soit présente dans notre représentation a postériori de ce ballet, le peintre Annick Roubinowitz installera le spectacle que Dalí souhaitait loger dans les « entrailles de la Fenice » comme au centre d'une grande pièce de bœuf, toute fraîche sortie de la boucherie et déplacée en suspens au dessus des planches de la Fenice, dans un hommage au peintre Rembrandt. Enfin, la danseuse et chorégraphe Virginie Souquet incarna le corps des toiles depuis lesquelles la danseuse chez Dalí prend sa source : une jeune-fille qui court et saute à la corde d'une toile à l'autre.

Enfin l'interrogation plus philosophique et esthétique de toutes ces questions feront l'objet de conférences et discussions qui se tiendront au Centre Culturel International de Cerisy-La-Salle, lors du colloque Dalí. Sur les traces d'eros (13-20 août 2007).

 

Frédérique Joseph-Lowery

G. Didi-Huberman, « La Dialectique peut-elle danser ? » in Le Magazine littéraire n. 414, 2002 dossier : Philosophie et art. La fin de l'esthétique?