Une fresque pour sensibiliser à l'épilepsie

Nous avons accompagné la réalisation d'une fresque à l'automne 2012 dans Valenciennes (réalisée pour et financée par l’association Epilepsie France - Le Musoir a financé le matériel de peinture) : comment lever un tabou sur les épilepsies ? Comment en changer la représentation la plus commune ? Notre projet fut de filmer l'exécution de la fresque non comme un reportage-souvenir mais comme une création qui fasse intervenir la parole de patients.

Pour en savoir plus sur l'épilepsie

Pour connaître les actions de la délégation Nord d'Epilepsie France créée par le docteur Simone Fortier : http://www.epilepsie-france.com/index.php/delegations/nord/
Une brève lecture d'un clip mettant en scène une crise d'épilepsie : Ellipses de l'épilepsie

L'interview du peintre

Une fresque réalisée par Tanguy Dohollau pour Epilepsie France

Peinte par Tanguy Dohollau, cette fresque se situe sur la ligne de vie du tramway en plein centre de Valenciennes (Nord), à quelques pas de la gare. Elle représente non pas des personnes qui tombent comme dans l’imagerie populaire de l’épilepsie mais deux personnes debout regardant au loin, ensemble. Le message d’Epilepsie France est inscrit sur un ciel dégagé: « Ensemble, luttons contre les préjugés ».

Tanguy Dohollau, auteur-dessinateur vivant en Bretagne, est notamment l’auteur de La Diagonale des jours avec Edmond Baudoin, de Par les grèves (préfacé par JMG Le Clézio, prix Nobel de littérature 2008) et de Pas à Pas. Il a divers projets en cours sur Tchékhov et Dans un jardin armoricain (recueil de dessins et aquarelles, introduction et poèmes de Kenneth White). Il expose à travers l’Europe, au Pakistan et au Japon.

En dialogue avec Tanguy Dohollau.


IRG pour Le Musoir : Vous aviez déjà réalisé une fresque intérieure avec des personnes épileptiques. Votre travail était à l’écoute de leurs suggestions, vous intégriez au fil des rencontres leur désir. Pour cette fresque réalisée à Valenciennes, vous avez proposé des esquisses à l’association Epilepsie France, celle tout d’abord d’un homme se tenant debout, face à l’horizon, celui dessiné dans Pas à pas . On sent une grande sérénité à travers ces esquisses, une attention particulière à la patience du regard, une inspiration de certains paysages marins…

Suite à la proposition des responsables du foyer de Bel-Air à Broons (Côtes-d'Armor, Bretagne), accueillant des personnes épileptiques, que je vienne y réaliser une fresque à l'intérieur en 2002, j'avais tout d'abord, en effet, rencontré et discuté avec les personnes épileptiques y résidant. J'avais écouté leurs souhaits en faisant des croquis, et puis je les avais intégrés dans un dessin qui devenait ainsi le projet de la fresque. J'avais réalisé ensuite la fresque en leur présence. Je changeais certains éléments suite à leurs remarques pendant sa concrétisation. Je l'avais réalisée dans la cafétéria de ce Foyer qui est un lieu de restauration et aussi un grand salon central dans le bâtiment; lieu commun de partage. Certains d'entre eux s'étaient installés à des tables, et ils s'étaient mis à dessiner sur des feuilles de papier spontanément près de moi. J'étais venu plusieurs jours par intermittence dans ce foyer pour peindre cette fresque sensiblement de la même dimension que celle de Valenciennes (3 m de hauteur X 8 m de longueur).
La mer était déjà présente sur la fresque du Foyer de Bel-Air à Broons suite à la demande des résidants. Je l’ai mise à nouveau sur les esquisses que j’avais présentées aux membres de l’association Epilepsie-France en novembre 2011. Comme j’habite auprès de la mer depuis mon enfance, je la regarde très souvent et longuement. Sa proximité est quotidienne. Elle est le plus souvent très apaisante.

Au fil des échanges, l’esquisse a évolué. Deux personnages côte à côte plutôt que la solitude, par exemple. La métaphore de l’orage pour représenter la crise épileptique était délicate à réaliser compte tenu des représentations dramatisantes des ciels orageux à travers l’histoire de l’art, souvent liées à la présence divine séparant les cieux, référence qu’il fallait absolument éviter pour cette maladie diabolisée à tort par le passé. Vous pouvez nous expliquer votre recours aux nuances dans votre proposition graphique pour suggérer ces « passages orageux » ?

Dans mon livre Pas à pas, il y a cette silhouette d’un homme qui a les bras au-dessus de sa tête. Il est devant la mer, et des oiseaux marins passent devant lui, derrière lui, et on pourrait presque croire que ces oiseaux le traversent. Je le suggérais afin de montrer que la personne est dans la nature. Et puis, le haut de cette silhouette avec la tête et les bras ainsi posés a la forme d’un œil. Je voulais faire une allusion au regard, comme il en est particulièrement question dans l’histoire qui se déroule dans ce roman graphique.
Pour répondre à la demande qui m’était faite, j’ai ajouté la silhouette d’une petite fille dans la même position que celle de l’homme sur mes premières esquisses en noir et blanc. Et puis ensuite, j’ai réalisé trois versions sur papier en utilisant de l’aquarelle et des crayons de couleur. C’était trois versions avec des éclairages différents dont l’une d’elles avec des nuages au-dessus de la mer et une lumière de lever de soleil ou de coucher de soleil. Ce n’était pas un ciel orageux. Je ne souhaitais pas faire un ciel qui dramatiserait cette scène. Je souhaitais plutôt montrer une image apaisante. Des membres de l’association Epilepsie-France y ont vu un ciel d’orage symbolisant une crise d'épilepsie. J’ai finalement réalisé un ciel assez proche de la version qu’ils avaient choisie. Toutefois, j’ai fait en sorte que le ciel ne soit pas trop pesant tout de même sur l’ensemble de la surface du ciel de la fresque.

Oui, cela évite aussi les à plats, tout comme les reflets du soleil, dans le bleu de la mer. Qu’avez-vous saisi dans votre work in progress in situ de la réaction des passants ?

C’est la deuxième fois que je réalisais une fresque après celle du Foyer de Bel-Air à Broons. Et c’est la première fois que je réalisais une fresque dans une rue. C'était vraiment une nouvelle expérience assez étonnante pour moi. Il y a peu de réalisations de ce genre à Valenciennes, contrairement à d'autres villes comme celle de Lyon par exemple, où il y en a beaucoup. Les personnes qui passaient étaient surprises de voir quelqu'un peindre. Elles sont habituées à voir des affiches et des grandes affiches publicitaires sur des panneaux. Elles étaient plutôt étonnées de voir quelqu'un réaliser devant eux une image de cette taille. Cela faisait un spectacle vivant auquel le public participait. Certains passants s'arrêtaient pour discuter avec moi et c'était sympathique.

Certains passants vous ont-ils parlé de l’épilepsie ou posé des questions ?

Des personnes épileptiques se sont arrêtées pour me dire qu’elles appréciaient de voir une peinture attirant l’attention sur cette maladie. L’une d'entre-elles s'est adressée à moi en me disant: "Vous êtes un ancien?" Je lui ai répondu que non, je n'étais pas un ancien épileptique. Je n’étais pas directement touché par cette maladie. Mais je lui ai dit que j’avais connu il y a une vingtaine d'années une personne épileptique que je rencontrais de temps en temps.

« Lutter contre les préjugés », tout un programme…


Je trouve cette phrase: "Ensemble, luttons contre les préjugés." très bien choisie par l’association Epilepsie-France. Je l’ai écrite et apposée sur le côté droit de la fresque dans une partie de ciel que j’ai laissée dans des tons bleu clair. Au-dessous, j’ai peint le logo de l’association. On peut donc voir un lien de cette phrase avec le nom de l’association, et on peut la lire séparément.
Un passant nord-africain s’est arrêté et a lu cette phrase quand j’étais là. Il m’a dit que cette phrase le touchait, car il avait souffert du préjugé des gens envers lui du fait qu’il était étranger. Et puis il m’a dit peu après, en voyant le logo Epilepsie-France qu’il y a beaucoup de monde qui ne savent pas ce qu’est l’épilepsie aussi.
C’est une phrase qui incite à la réflexion et qui est ouverte à d’autres préjugés que ceux concernant l’épilepsie.

Vous avez commencé cette fresque sous la pluie, puis l’avez achevée dans l’éclaircie. Ces variations de lumières ou « conditions météorologiques » ont-elles orienté le projet dans une forme plus narrative que symbolique, en espérant un ciel dégagé, un horizon serein ? Ou dans une version plus ou moins contrastée ?

J’ai réalisé cette fresque dans des conditions climatiques variées en effet. J’ai peint sous la pluie à un moment. Le ciel de la fresque a évolué par des superpositions de couleurs. J'ai cherché à apporter de la sérénité dans l’ensemble.

Au début de cet entretien vous parliez du regard. Dans votre livre Pas à pas, la femme est aveugle, c’est dire que vous êtes sensible à d’autres manières de percevoir, de vivre le corps, le sien comme celui des autres. Il y est question de l’écoute des silences, de donner la mesure d’un temps autre pour regarder plutôt que pour simplement voir. Votre fresque est sise au lieu d’un arrêt de tramway, est-ce un lieu possible pour ouvrir ce temps nécessaire, pour penser autrement ces lieux de passages ?

Je me suis aperçu que les personnes attendant le tramway de l’autre côté de l’avenue, face à la fresque, la regardaient avec attention. Certaines de ces personnes ont suivi l'évolution de ma peinture du début jusqu'à la fin de sa réalisation. Et puis il y a les personnes ne s’arrêtant pas là, mais qui sont dans le tramway et qui font des trajets en passant régulièrement par cet endroit. J'ai eu un dialogue silencieux avec l’un des chauffeurs du tramway. Nous nous sommes revus plusieurs fois lors de ma réalisation de la fresque. Il me faisait des signes amicaux.
Maintenant, la fresque est là, présente dans le quotidien de ce lieu de passage. Les personnes attendant l’arrivée du tramway peuvent la regarder pendant ce temps d’attente. C’est un temps d’arrêt pour eux, et un arrêt sur une image dans le flot d’images qui nous submergent de toute part à notre époque. Et comme ce n’est pas une reproduction photographique, il y a la matière picturale qui offre sa particularité. Suivant les éclairages aux différents moments d’une journée, les couleurs qui sont présentes sur la fresque varient d’intensité. C’est aussi un apprentissage de la lenteur.

Le Musoir, le 5 octobre 2012


Pour en savoir plus sur ce peintre :

Site de l’artiste
: http://pagesperso-orange.fr/site-tanguy-dohollau/t_dohollau_sommaire.htm

Bibliographie (extrait) :


Publication La Diagonale des jours, éditions Apogée, 1995. Cette correspondance dessinée, est née de l'admiration réciproque de deux dessinateurs.

Réalisation d’une fresque en intérieur pour un centre pour épileptiques : http://pagesperso-orange.fr/site-tanguy-dohollau/t_dohollau_fresque.htm

Exposition sur l’écrivain Jean-Pierre Abraham (2011), (en partenariat avec le centre régional du livre en Bretagne, Rennes. Exposition présentée à la Maison de la Bretagne, Paris, au Grand phare. Île-de-Sein (Finistère, Bretagne) et à la Bibliothèque municipale de Dinan (Côtes d'Armor, Bretagne). Organisations régulières d’expositions sur des écrivains (Jean Grenier, JMG Le Clézio, Lorand Gaspar, Heather Dohollau…)

2012, Exposition personnelle au Centre franco-polonais, Olsztyn, Pologne. Dessins accompagnant le texte « Une lettre » de Zbigniew Herbert

2012, Exposition personnelle à la Médiathèque « Marguerite Yourcenar », Faches-Thumesnil : exposition des illustrations pour "Marguerite Yourcenar, l’académicienne aux semelles de vent" publié aux éditions « A dos d'âne»